Par Chokri BACCOUCHE
Dur, dur d’être dans une situation de dépendance extrême en ayant un couteau sur la gorge. Un grand couteau aussi aiguisé que la lame d’un katana, le célèbre sabre des guerriers samouraïs. L’homme qui s’est retrouvé dans cette situation peu amène et extrêmement difficile n’est autre que le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui s’est mis à dos son puissant allié américain à la faveur du clash inédit, brutal et d’une violence verbale inouïe survenu, vendredi dernier, sous les lambris de la Maison Blanche. Sommé par le président américain Donald Trump de conclure un accord de paix avec la Russie et menacé par son hôte de retirer le soutien des Etats-Unis en cas de refus, Zelensky n’a pas digéré ce qu’il a considéré peut-être comme un fait accompli. Il a refusé de se plier à cette exigence et on peut dire qu’il en a eu pour son grade. Il a été en effet pris à partie par son homologue américain, bien relayé par le vice-président, J.D Vance, qui se sont déchainés sur lui, l’accusant de «jouer avec la Troisième Guerre Mondiale» et critiquant vertement son «attitude très irrespectueuse envers les Etats-Unis», le pays qui l’avait soutenu à bras-le-corps dans sa confrontation militaire avec la Russie.
Humilié, tancé et chassé sans ménagement par le locataire de la Maison Blanche, Zelensky a dû quitter précipitamment Washington après cette sévère remontrance qu’il a vécue comme un horrible cauchemar. A Londres où il s’est rendu séance tenante, il a trouvé un certain réconfort auprès des dirigeants européens, réunis en urgence pour lui exprimer leur solidarité. Le sommet londonien, qui a vu la participation de quinze pays du vieux continent, a mis en évidence la détermination des Européens à continuer à porter assistance à l’Ukraine tout en posant les jalons – fait nouveau et révélateur – d’une défense européenne commune et renforcée, susceptible de permettre à l’Europe de se prendre en charge et d’assurer sa propre sécurité sans le «parapluie américain». Piqués au vif dans leur amour-propre pour avoir été écartés par leur puissant allié américain des futures négociations de paix en Ukraine, les dirigeants européens se mobilisent donc et resserrent leurs rangs afin de se faire prévaloir et de s’imposer comme des interlocuteurs incontournables pour toute solution négociée au conflit ukrainien.
Cette situation renversante suscite nombre de questions qui ne manquent pas d’effleurer d’ailleurs l’esprit des observateurs avertis et même des profanes peu rompus aux arcanes des relations internationales. L’Europe a-t-elle justement les moyens de ses ambitions et est-elle capable de renverser la vapeur en sa faveur? A-t-elle surtout les arguments nécessaires lui permettant d’imposer sa volonté et pousser l’administration américaine à revenir à de «meilleures intentions» ? Pour des raisons objectives, il y a tout lieu d’affirmer, sans trop de risque de se hasarder, que le vieux continent est incapable, dans l’état actuel des choses, d’agir sur le cours des événements. Ayant vécu pendant sept décennies sous le «parapluie américain», l’Europe ne peut logiquement se passer de ce bouclier protecteur du jour au lendemain. Elle n’a pas non plus les capacités militaires susceptibles de lui permettre de changer le cours de la guerre. Le sommet de Londres a été qualifié d’ailleurs par de nombreux observateurs de «numéro d’équilibriste» d’une Europe, consciente de la réalité du rapport de force, qui cherche à ménager l’hostilité et calmer la colère de son puissant allié américain pour réparer, si possible, les dégâts de la terrible rencontre de la Maison Blanche. Signe des temps, même le président ukrainien tente des gestes d’apaisement. Au moment où Donald Trump met la pression et semble déterminé à le chasser du pouvoir, Volodymyr Zelensky a déclaré en effet, peu de temps avant son départ de Londres, qu’il était prêt à signer l’accord sur les minerais avec Washington. La crise sera-t-elle pour autant dépassée? On doute fort qu’on sortira sous peu de l’ornière, et pour cause! La décision de certains pays européens, dont notamment la France et la Grande-Bretagne, de déployer des soldats en Ukraine, au motif de «sécuriser des sites sensibles», risque de jeter de l’huile sur le feu de la guerre. Moscou, qui a toujours porté en horreur la présence de forces militaires occidentales dans ses frontières, ne va certainement pas accepter un tel déploiement, et ce, quels qu’en soient ses motivations et ses mobiles. Pour toutes ces considérations, on peut dire qu’autant la fin du conflit ukrainien est à portée de main, autant il y a risque que la situation dégénère. Le monde retient son souffle en attendant que la sagesse et le bon sens l’emportent sur les calculs étriqués et les ego faussement froissés de ceux qui s’obstinent à prolonger indéfiniment cette tragédie, alors que les jeux semblent déjà faits. Une effroyable tragédie qui a fait jusque-là des centaines de milliers de morts…
C.B.