C’est devenu endémique. A chaque saison, les spéculateurs rappliquent et remportent le jackpot. Au vu, au su et à la barbe de tout le monde, les pouvoirs publics en prime. Non sans s’être préparés et avoir fourbi leurs forfaits longtemps à l’avance. Tâche d’autant plus facile à ourdir que nos années sont ponctuées de fêtes, de célébrations et de rituels civils et religieux synonymes de consumérisme effréné et de ripailles. Ce n’est un secret pour personne, le plus clair du temps, nous sommes cigales plutôt que fourmis.
Ces dernières semaines, c’est le mouton de l’aïd qui a les faveurs des spéculateurs et des inévitables intermédiaires réguliers ou de circonstance. Le kilo vif, estimé par les pouvoirs publics à 21,500 dinars est vendu entre 27 et 30 dinars le kg, sinon plus, en toute impunité. Certes, les Tunisiens n’achètent pas massivement les moutons ces derniers jours, mais les spéculateurs veulent les avoir à l’usure. Et dans ce bras de fer non déguisé, ce sont les spéculateurs qui l’emportent en dernière instance. Certes, rien ne sert de se morfondre dans le ressentiment et les jérémiades. Toutefois, les questions lancinantes demeurent en suspens. Et parmi lesdites questions, celles sur l’inexistence ou la faiblesse des structures de contrôle interpellent.
Modus operandi vicieux
En fait, les spéculateurs sont soit des intermédiaires réguliers, soit des opérateurs circonstanciels. Dans tous les cas de figure, ce sont des accapareurs. Tantôt, ils s’emparent des denrées et produits prisés, tantôt ils agissent de pair en jouant sur les registres des monopoles de fait. Ainsi arrivent-ils à fixer unilatéralement les prix à la défaveur des clients et acheteurs, malgré les stipulations et réglementations officielles. Oui mais, objectera-t-on à juste titre, où sont les contrôleurs des prix ? Ceux-ci sont de prime abord structurellement insuffisants. Autour de mille trois cents contrôleurs pour contrôler des dizaines voire des centaines de milliers de revendeurs disséminés partout, souvent à la sauvette. Malgré l’existence de marchés nommément connus et désignés, ceux improvisés sont souvent légion. Ainsi en est-il des fameuses rahbas de vente de moutons. Il y en a partout, par milliers et de différentes dimensions.
Et ne parlons pas du laxisme et des compromissions intéressées en la matière. Souvent, de guerre lasse, les contrôleurs se retrouvent submergés, sinon réduits à faire de pâles figurations. Les réseaux organisés ont souvent la main haute.
La défense des consommateurs aux abonnés absents
Restent les associations de défense des consommateurs. Celles-ci brillent souvent médiatiquement. Autrement, autant chercher une aiguille dans une boîte de foin. Leur visibilité est nulle ou presque, leurs numéros verts ne répondent pas, leurs contrôleurs sont inaccessibles ou inexistants. Ces dernières années, lesdites associations ont perdu au change. Des considérations politiques y président. Il fut un temps où elles furent plus efficaces, relativement s’entend.
Au bout du compte, c’est le citoyen lambda qui se retrouve toujours pris dans la souricière des accapareurs et spéculateurs de tout poil. Il est obligé d’en faire les frais. Les réflexes du boycott ne sont pas toujours de mise chez nous. Le poids des traditions impose au bon père de famille de passer sous les fourches caudines des spéculateurs.
Pourtant, il y a eu deux séquences au cours desquelles les spéculateurs ont été efficacement battus en brèche. La première fut au cours de l’épidémie du Covid-19 et la seconde au cours du dernier mois de ramadan. La diligence mise par les pouvoirs publics pour contrer, dissuader et réprimer les fraudeurs a été louable. Seul le secteur des viandes rouges y échappa dans les deux cas. Ce cartel là est tellement puissant et revêche. Aujourd’hui encore, il fait des siennes et se joue de la fixation officielle des prix comme d’une guigne.
La consommation au guet-apens
Messieurs les accapareurs et spéculateurs ourdissent adroitement leurs forfaits et subterfuges. Ils les planifient au gré des saisons et des produits prisés. Le Tunisien moyen est pris chaque fois au piège comme dans un perpétuel guet-apens. Les motivations crapuleuses des spéculateurs ne sont plus à démontrer. Elles coulent de source pour ainsi dire.
Le rouleau compresseur de la hausse des prix, injustifié dans la plupart des cas, n’en finit pas de s’étaler en toute impunité. Les familles tunisiennes en supportent les contrecoups pervers. Quelques responsables feignent de temps en temps de s’en offusquer, mais au bout du compte ils laissent faire.
De mémoire de vieux briscard, j’ai assisté à l’inexorable hausse continuelle et injustifiée des prix des denrées alimentaires et de base surtout au fil des décennies. Ça remonte et cela ne s’affaisse jamais. Le forfait se mue en acquis et l’état de fait injustifié en donnée naturelle. On peut même estimer la hausse artificielle des prix jusqu’à hauteur de trente à quarante pourcents de leur valeur réelle au fil des années, sans que cela ne retombe. La bourse des ménages en fait les frais. Seul le ressentiment populaire demeure. Autrement, l’arbitraire de la hausse des prix sévit.
Il est sans nul doute impératif d’augmenter en premier lieu le nombre des contrôleurs et les modalités des contrôles des prix ; et, en second lieu, d’aggraver les sanctions légales à l’encontre des fauteurs en la matière. Autrement, la valse vicieuse se poursuivra en toute impunité. Et la bourse du citoyen n’en finira pas d’en pâtir. A bon entendeur…
S.B.F