Omar Khayyâm
Sans conteste, le choix de ce titre n’est dicté que par l’engouement des téléspectateurs pour la série les<<haschachines>> que diffuse une station arabe. Elle finira par l’être sur nos écrans tunisiens.
Amin Maalouf a choisi des personnages et des évènements ayant marqué le 11èm siècle dans la Perse, la Transoxiane et la Mésopotamie. Le roman se conclut au 20ème siècle toujours en Perse devenue l’Iran. Au-devant de la scène nous trouvons Hassan Sabbah, chef de la secte ismaélienne<<les hachichines>>. Pour les occidentaux, il est le fondateur de l’ordre des « assassins », la secte la plus redoutable de tous les temps.
Le plus supérieurement passionnant des personnages, le libre penseur Omar Khayyâm ; il est certes, le poète des <<roubaiyets>> que Oum Kalthoum a merveilleusement interprété. Mais Omar est loin de n’être que cela, il est le mathématicien le plus grand du Moyen Age, l’auteur de deux traités des plus importants dans l’histoire des mathématiques, écrits à partir de 1070 à Samarcande et à Ispahan. Il est l’astronome de génie qui a élaboré le calendrier perse, jugé le plus exact. En Europe malheureusement, ses travaux algébriques ne seront diffusés qu’au 19èm siècle.
Plus que Malik shah le sultan seldjoukide, sous le règne duquel l’empire avait connu un apogée sans précédent, apparait l’imposant et retors vizir Nizam al-Mulk (Perse). C’est à ce vizir que revient le mérite de la réorganisation de cet immense sultanat à l’arrivée des Turcomans, les Seldjoukides. Il fonde la médersa pour faciliter la participation des <<oulémas>>à la gestion de l’Etat et la diffusion du droit sunnite, des mathématiques et de l’astronomie.
Cet écrit est ainsi, historico-romancé. Il nous apporte une idée sur les conditions, l’origine et les faits réels de ce mouvement tant crain, celui des <<Haschachines>>. En même temps, Amin Maalouf relate avec exaltation une tranche de vie du grand Omar Khayyâm (Perse). Il est l’astrologue, le scientifique, le philosophe et ce que nous connaissons le plus sur ce géant, sa poésie.
Ainsi, la grande partie de la moitié de ce roman, ne pouvait ne pas être ménagée à la vie sentimentale de cet immense poète ; une vie sentimentale passionnément partagée avec une poétesse de Samarcande (Ouzbékistan), Djahan. C’est à Ispahan<<moitié du monde>> qu’ils se rencontrent, qu’ils vont s’aimer, se passionner l’un pour l’autre ; mais<<leurs rêves ne vivent pas sous le même toit. Djahane dévore le temps, Omar le sirote.>> Lui se réveille tard ; il se met à sa table de travail, il écrit, il calcule… Djahan passe sa journée au palais au côté de Terken Khatoun la sultane.
Détaché et modeste dans sa vie au quotidien, Omar Khayyâm a, par contre, d’autres ambitions, d’autres rêves. Il se voulait le dépositaire et receler un observatoire avec l’intention d’instruire la juste longueur de l’année. Ce fût fait ! un vœu exhaussé sur le champ, par le prestigieux vizir Nizam al-Mulk qui voue une grande admiration au génie et à la sagesse de Omar. Il lui a prodigué tout le confort.
Le vizir va jusqu’à lui proposer le poste le plus délicat de l’empire : « sahib-khabar », chef des espions. Omar, vu son tempérament doux et modéré, a refusé cette offre. Afin d’éviter l’irritation du vizir, il lui a suggéré un jeune de kom (Perse), qu’il a rencontré au cours de son voyage de Samarcande à Ispahan. Omar a été frappé par l’érudition du jeune Hassan Sabbah. Il était plein de théologie, curieusement philosophe et farci de culture ; de plus, il a manifesté sa poursuite d’approcher le vizir et le solliciter pour un emploi. Il a semblé à Khayyâm que Nizam al-Mulk ne pouvait pas mieux avoir auprès de lui. Mais se fût l’impensable erreur !
Nizam al-Mulk puissant savant sunnite, avait été séduit par l’intelligence de ce jeune ; mais il va fort amèrement le regretter. Les trois hommes vont se révéler très différents, des antagonistes irréductibles.
Omar Khayyâm est celui qui a observé le monde, Nizam al-Mulk est celui qui a gouverné ce monde ; quant à Hassan Sabbah, selon Amin Maalouf, est celui qui l’a terrorisé. Dans le renommé manuscrit de Samarcande, ces trois célèbres se rencontrent à Ispahan dans le divan du grand vizir. Il est leur ainé d’au moins trente années. Toujours est-il, Hassan va être son ministre. En tant que tel, il va manœuvrer avec ruse pour s’approcher du sultan Nasr Khan ; ce qu’il n’a pas manqué d’accomplir et briguer le poste du vizir. Il a failli y parvenir sans plus rusé, le stratège Nizam al-Mulk. Il est l’auteur du<< Traité de gouvernement>>, ouvrage fruit d’une glorieuse expérience, venu quatre siècles avant<< Le prince>> de Machiavel. Le jeune Hassan va être définitivement banni de l’empire seldjoukide.
Sournois et rusé comme un renard, Sabbah ne va pas capituler. S’il a cherché à atteindre la place du redoutable vizir, c’est pour conquérir un pouvoir qui donne libre cours à sa stratégie, celle de diffuser le plus largement le chiisme ismaélien. Aussi, il a erré déguisé en habit de soufi pour semer les agents du vizir. Du même coup, il a diffusé sa foi en prenant une route côtière ; de Beyrouth il va passer par Tyr, Acre afin de joindre Alexandrie où il est reçu comme un émir. Au Caire, la doctrine ismaïlienne, l’art de la persuasion et l’argumentaire, vont être enseignés dans l’enceinte même du palais du calife fatimide.
D’ailleurs, Hassan avait étonné Khayyâm quand il a affirmé, sûre de lui, que le prophète Mohamed avait parlé de lui quand il avait mentionné<< un homme viendra de Kom, des hommes se rassembleront autour de lui>>. Khayyâm qui a lu les recueils certifiés, assure que ce que Sabbah a avancé n’existe nulle part.
Le cadi de Samarcande, voyant Ahmed Khan, maitre de Samarcande, sous l’emprise de Hassan, a alerté le vizir. Ce dernier lui a conseillé de convaincre la sultane Terken Khatoun, tante du Khan et que le sultan craint de blesser. En 1089 le sultan, Malik shâh dirige un grand nombre de son armée qui s’empare facilement de Boukhara et assiège Samarcande. Ahmed Khan manifeste son mécontentement, il se fait ainsi, prisonnier. La population de Samarcande va soutenir l’armée de Malik Shah.
Suite à la victoire de l’armée de Malik Shah, Sabbah va inventer un effrayant et abominable moyen de conversion : « l’ordre des assassins » et prendre pour siège un emplacement inatteignable, Alamout est à six mille pieds d’altitude. Un paysage de montagnes, de falaises raides et de cols étroits.
Entre temps, la sultane Terken Khatoun et le vizir Nizam al-Mulk se mènent une bataille sans merci. N’ayant pas digéré l’atteinte au fief de sa famille à Samarcande, elle a convaincu son époux d’éliminer son vizir.
Le sultan a adressé des menaces à son 1er ministre<<si tu t’estime mon égal…je prendrai les décisions qui s’imposent>>. A quoi Nizam a répondu avec grave arrogance : <<s’il l’ignorait…je suis bien son associé et que sans ma personne il n’aurait jamais pu bâtir sa puissance ! >> ajoutant que la couronne lui était revenue grâce à<<mon encrier>>. Il arrive à ce grand homme à la fin de sa vie, de se demander s’il ne sera pas la honte des Aryens (Nizam était Perse), les Seldjoukides des Turcs.
Effronté, il l’a été certes, expressément. Se sachant très malade, selon son médecin Omar Khayyâm, voyant voir venir sa fin, Nizam al-mulk l’a voulue pas commune, glorieuse. Selon les chroniqueurs de son temps, les <<haschischins>> ont exaucé le vœu de la sultane et l’ont assassiné, ce fût l’extase pour Hassan.
Le chef des <<haschischins>> planifie les assassinats les vendredis au sein même des mosquées. Des textes d’époque mentionnent des scènes d’épouvante ; cela ne se peut pas que sous l’effet des drogues.
Les enseignements : la parabole relative à Khayyâm le représente comme habité par l’idée d’être poursuivi par une panthère ; ce qui le contraint à la perpétuelle errance ; destin des savants et intellectuels surtout dans notre Orient. Quant à Hassan, fondateur de l’ordre » des assassins », il est parvenu à dompter cette panthère<<quand survient le temps des bouleversements nul ne peut arrêter son cours>>.
La seconde partie du roman nous fait passer du 11ème à la fin du 19ème siècle en Europe où l’on découvre le génie de Khayyâm. L’original des roubaiyets de Khayyâm se perd dans le naufrage du Titanic(fictif). Amin Maalouf introduit un narrateur qu’il nomme benjamin O. Lesage, américain (fictif). Il va rencontrer Henri Rochefort qui évoque un opposant au Shah, Djamal Eddine al-Afghani qui vit à Istanbul.
L’auteur reprend, à peu de chose près, la symbolique de la 1ère partie de son œuvre. En dehors de Lesage, la plupart les personnages et des évènements cités sont historiques. Ils opèrent et s’opèrent au 20èm siècle. En 1906, l’Iran devenu jeune démocratie. Au conteur Lesage on propose le poste de ministre qu’il refuse, comme l’a fait Khayyâm. Il conseille un avocat américain, Morgan Schuster (personnage réel). A la fin se noue entre Lesage et une Iranienne Chirine, une liaison amoureuse.
Amin Maalouf semble, à travers ce bel ouvrage, inviter à une rencontre avec son Orient si mal révélé. Un Orient avec ses lustres, ses gloires, ses déboires et ses déconvenues. Un Orient dont le sens de la vie et la poésie demeurent jusqu’à nos jours peu considérés. Dans cette œuvre, il paraît aussi avoir, tant soit peu, atteint l’objectif d’une miraculeuse retrouvaille.
A.A.S