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Tunsie-Politique- La colonne suicidaire des idiots utiles - La chronique de Soufiane Ben Farhat

Ils sont partout, ils sont légion. Ils ont une faculté de reproduction extraordinaire et ils sont particulièrement contagieux. Je parle des idiots utiles pardi. J’en vois à tous les coins de rue, dans toutes les sphères, celles politiques ou qui s’y rattachent en prime.

Soyons clairs. La scène politique, toutes instances confondues, ne brille pas par l’effervescence des talents et les atours des personnalités charismatiques. Cela fait un bail qu’on n’en voit plus. A en croire qu’une coalition de crétins a fini par investir la place. C’est d’autant plus alarmant que cela déborde au-delà des lignes de clivage habituelles. Un peu partout, c’est le même topo.

Du coup, le débat politique s'appauvrit. Les partis politiques, organisations, syndicats et associations s’abîment dans la banalité désolante et suintent la guigne et l’ennui. Le dessein national, qui est le propre de la vision inhérente à tout parti ou personnalité qui se respecte, se raréfie. Il lègue la place aux calculs de boutiquiers et aux prosaïques aspirations du gagne-petit.

Désabusé, le Tunisien lambda tourne le dos à tout ce triste monde. Il est vrai que les pénuries successives et la hausse des prix focalisent l’intérêt du citoyen terre-à-terre. Le Tunisien qui évolue au ras du sol, démuni, exsangue et les nerfs le plus souvent à fleur de peau. Les accapareurs et autres barons de la contrebande n’en finissent guère de miner les marchés et de faire main basse sur les circuits de distribution surtout. L’incompétence de l’administration, elle-même largement gangrenée par les réseaux mafieux, en rajoute au marasme.

Corruption, menaces…

Mais ce n’est pas tout. Cela ne saurait tout résumer. Il y a aussi le désenchantement accumulé par le citoyen moyen et à son corps défendant tout au long de la décennie noire 2011-2021. Des gens surgis de nulle part avaient tôt fait de détourner le fleuve initial de la révolution. Ils portaient diverses casquettes partisanes, idéologiques et corporatistes. Ils ont évincé le peuple et se sont emparés des commandes autant de l’ancien régime que du flux révolutionnaire. Une main basse synthétique en quelque sorte. On connaît la chanson, “ôte-toi que je m’y mette”. Et ils ont implanté leurs hommes-liges, leurs réseaux et leurs zones exclusives de privilèges.

Leur principal leitmotiv fut la corruption. La corruption à tout va. C’était pourtant contre la corruption de la Nomenclatura liée à l’ancien régime que le soulèvement populaire eut lieu au cours du cruel hiver 2010. Hier encore aristocratique, la corruption devint démocratique. Bien pis, elle fut brandie et assumée au nom de la révolution, de la liberté et de la dignité, principales revendications des masses montées à l’assaut des gentilhommières. Le parti islamiste Ennahdha joua les premiers violons dans ce sinistre concert abject et vénal. Il y acoquina d’autres partis et mouvances, de droite comme de gauche.

Ce fut ainsi hélas. Tout l’édifice constitutionnel et institutionnel convergea dans cette direction. Partis politiques, Parlement et syndicats en furent les suppôts. Et lorsque l’épidémie du Covid 19 débarqua dans nos murs, en 2020, la corruption fut encore au rendez-vous. Elle s’empara autant du marché des bavettes que de celui des soins et des vaccins. Après une relative bonne conduite au début du confinement, le nombre des victimes grimpa d’une manière vertigineuse au fil des mois. J’en fus un témoin aux premières loges. On faisait chaque matin à la radio le décompte macabre. On en arrivait à comptabiliser plus de trois cents décès par jour. Fin août 2020, il n’y avait qu’un peu plus de soixante-dix victimes. Elles dépassèrent les vingt-cinq mille en juillet 2021.

L’été fatidique

Pour l’ancien Président Ben Ali et son régime, il y eut l’hiver fatidique 2010. Pour Ennahdha et ses satellites et alliés, il y eut l’été fatidique 2021.

Tout le monde se souvient du discours médiocre et crapuleux de l’un des principaux dirigeants d’Ennahdha début juillet 2021 à La Kasbah, à quelques mètres du siège du gouvernement. Il disait ou vous nous délivrez les compensations (pour leur activisme par moments terroriste avant la révolution) ou il vous en cuira. Il avait fixé la date-butoir pour le 25 juillet. Au moment même où il proférait ses menaces, les Tunisiens mouraient par centaines chaque jour, l’épidémie sévissant encore à la faveur du système corrompu.

Le 25 juillet précisément, les Tunisiens ont attaqué les sièges du parti Ennahdha dans diverses villes et régions de la Tunisie. Le soir même, le Président Kais Saïed dissout le Parlement. L’ire populaire se transforma en manifestations de joie. Les Tunisiens ont accompli ce jour-là une espèce de révolution dans la révolution.

Le Tunisien cultiva depuis une méfiance non déguisée à l’endroit des partis politiques, du Parlement et des principales figures de la décennie noire. A juste titre d’ailleurs. Les sentiments et le ressentiment populaires ne sauraient être télécommandés. Ils évoluent au gré de l’actualité. C’est la réalité qui les enfante.

Le pire c’est qu’aucun parti, aucune personnalité dite politique, aucun syndicat ne fit son aggiornamento, ni ne se remit en cause. Après avoir été détrônés et démasqués, ils campent désormais les victimes et crient au loup. Et comptent, ce faisant, rempiler et occuper les devants de la scène. Leur attitude suicidaire les dessert en premier. Ils éludent la somme et l’ampleur du refus viscéral et du ressentiment encore largement diffus à leur endroit par de larges franges populaires. D’où leur actuel profil d'idiots utiles. Le peuple n’a pas la mémoire courte. Et les idiots utiles, avec leur obstination dans la négation, font le jeu de leurs contradicteurs et détracteurs.

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