Cette œuvre présentement définie, nous éloigne des romans historico-romancés précédemment présentés dans notre chronique, et que l’opportunité historique et contextuelle imposait.
Par cet écrit, Meryem Sallami socio-anthropologue, met entre nos mains une profonde, en même temps folle, gamberge. Elle offre cette cogitation, que certains jugeraient osée, à son fils. Certainement, pour que cet adulte mâle, qu’il deviendra et qu’elle a mis au monde, soit sain d’esprit, dégagé des inhibitions sensées entamer son jugement serein face aux gens (femmes en particulier) et même face aux choses de la nature.
L’autrice passe de Freud à Lacan allègrement. D’une vaste culture elle rappelle, peu ou prou, Jean d’Ormesson de par le nombre de ses références. L’Islam est présent, le Christianisme l’est tout autant. Le choix du prénom de son héroïne, Hajar, est en lui-même chargé symboliquement.
En Islam, Hajar est une brave, une femme forte de par son endurance face aux épreuves, elle est celle qui croit en la bonté du dieu unique. Dans le premier livre de l’ancien testament, Hajar et son fils Ismaël (fils d’Abraham) sont chassés par Abraham sur instigation de sa Femme Sarah. Exilée rebelle (pareille à l’héroïne du roman) et contrairement au Coran, elle est prise pour un paria, un anti model chrétien par les Pères de l’Eglise du moyen Age.
Le déroulement de la vie de l’héroïne est tout proprement empreinte de cette exilée ; aussi bien celle du coran que celle de l’ancien testament.
Tout le long de son œuvre, Meryem Sallami s’emploie à profiler des métaphores. Elle annonce de but en blanc, que c’est de la rhétorique sociale que naissent les défaillances psychologiques de son héroïne. A plus forte raison, issue d’une lignée paternelle ponctuée d’Imams, elle ne peut aucunement y échapper.
La narratrice se plante au-devant de la scène pour clamer sa dépravation, sa déliquescence. Elle choisit d’étudier la philosophie. Fascinée par Simone de Beauvoir, prestigieuse figure qui acceptait toutes les incartades de Sartre. Celui qui prône que son amour pour Simone n’est pas en contradiction avec des amours<<contingentes>>. Dans ses mémoires Simone semble prendre sa revanche, on sent l’accusation de machisme.
Hajar choisit, pour effectuer ses études de philo, Paris ville des lumières, celle de la liberté.
Hajar n’est pas athée, mais opte pour la liberté en lieu et place du Paradis. C’est au prix fort qu’elle va devoir payer, sa vie durant, ce choix. Elle va aussi en des moments intenses, s’amuser habilement à présenter des idées romanesques prenant pour référent Kundera (romancier tchèque plusieurs fois cité sur les listes du prix Nobel de littérature).
Sallami profère un dialogue interreligieux de par le choix de ses psys : un chrétien, un juif, deux musulmans. Il en va de même de ses fréquentations : elle interpelle l’interculturalité. C’est prendre en compte la spécificité de l’autre dans un rapport égalitaire respectueux de sa différence.
Hajar est exaspéré, par contre, par ce qu’elle considère manquement, fragilité. Elle ne se ménage pas pour ça et se révolte contre elle-même, contre ses faiblesses.
Après un viol qu’elle avait subi enfant et un avortement sans anesthésie pour préserver ses parents. Elle ne cesse d’être la proie aux remords obsédants qu’elle croyait avoir enterrés comme elle l’a fait pour le <<bébé>> rejeté sous terre.
Le senti de la Hajar biblique de l’exode, paria, anti model chrétien à l’opposé du mythe fondateur d’Ismaël, est continuellement éprouvé par la narratrice.
Contrairement aux personnages du roman<<la plaisanterie>> de Kundera, où quatre destins s’interposent et auquel se réfère, plus d’une fois, Sallami, son héroïne va connaitre à elle seule, moultes états d’âme ; de celui de la Tunisienne effrontée à ces états de tensions qui vont déterminer son désarroi.
Hajar était déterminée à se protéger en se refusant les sentiments amoureux. Son psy français l’avait prévenue<<vous ne pourrez pas faire autrement que d’aimer>>.
Et, se fût le cas quand voulant changer le psy français par un Tunisien, Azer : elle voulait expérimenter autre chose que Lacan du Dr H.
Azer la convînt qu’il était sûr de sa thérapie, elle va lui faire beaucoup de bien à la condition<<si vous lâchez les armes>>. Après l’avoir débarrassée de son insoutenable mal-être, Azer va habiter ses pensées. Aimer, elle en était consciente, c’est la voie la plus sûre vers la mort. Elle l’emprunte et se trouve piégée !
Comme la vie, les hommes ne sont en fait, qu’objet de leurs imprévisibles instincts. C’est ce que disaient sa grand-mère et ses tantes. Azer reconnait qu’il a besoin de <<domination>>. Pire, elle découvre un livre chez lui qui fait l’apologie des multiplications des amours : diviser la capacité d’aimer en plusieurs sous-amours. Pour tout dire, comme un financier qui diversifie ses investissements.
Azer, ce psy qui a su reconstituer son bout qu’elle croyait perdu, n’est nullement diffèrent de Sartre ni elle de Simone de Beauvoir ; ce couple chantre de la liberté. Elle avait promis de le suivre<<dans les limbes>>. Et pour clore, elle avait même parodié Jésus : <<que celui qui n’a jamais aimé au point de pardonner l’inexcusable lui jette la première pierre>>. Hajar prête à en découdre, à jeter derrière elle tous les préjugés.
Les yeux d’Azer scrutaient de manière indiscrète la serveuse du bar de Venise. Et la voila face à une réalité autre ! Elle réexamine sceptique l’énoncé de Simone. Elle va jusqu’à établir une rhétorique avec elle en se recueillant sur sa sépulture : <<maintenant que j’aime, je sais combien c’est douloureux. Et je suis sûre que ça l’était tout autant pour toi>>. Hajar lui déclame qu’elle ne voulait plus de cette liberté ! Déçue, coupant ainsi le lien avec Simone.
Désormais, elle exigeât d’être l’unique. Plus de partage ! Azer accepta et lui a offert, pendant deux années et sans réserve, de grandes joies ! elle a partagé avec lui des refrains d’Oum Kalthoum et sa passion à lui pour la poétesse syrienne Ghada al-Samman<<et je t’appelle : Moi !>>. C’est avec elle qu’il fête la guérison de son foie. Subitement il disparait, il la quitte ! comme dans la chanson d’Oum Kalthoum, chacun d’eux s’en est allé vers le dessein qu’il s’est tracé… Elle ne verra plus Azer…
Une belle écriture, espérons qu’elle va produire d’autres œuvre du même acabit. A découvrir surtout au féminin. Et pourquoi pas par, ce que le psy français désigne par PN, pervers narcissiques ; ça peut les aider à se débarrasser de certaines inhibitions.